
Daniel Veron, sociologue du travail et maître de conférences à l’université de Caen, s’est distingué par ses recherches approfondies sur les parcours et les mobilisations des travailleurs étrangers, tant en France qu’à l’échelle internationale. Son ouvrage, Le Travail migrant, l’autre délocalisation (La Dispute, 2024), finaliste du prestigieux prix Penser le travail 2025, met en lumière et recontextualise les mécanismes complexes de surexploitation de la main-d’œuvre étrangère.
Dans son analyse du travail migrant, Daniel Veron utilise fréquemment l’expression « délocalisation sur place », un concept initialement développé par l’anthropologue Emmanuel Terray dans les années 1990, en pleine période du mouvement des sans-papiers de Saint-Bernard. Cette notion suggère que, pour certains secteurs d’activité dont la production est intrinsèquement non délocalisable – comme la construction, le nettoyage de bureaux dans les économies tertiaires, ou les services de soins dans des sociétés vieillissantes –, le travail doit impérativement être réalisé sur place. Ces secteurs bénéficient alors d’un avantage similaire à une délocalisation en ayant recours à une main-d’œuvre à bas coût. L’emploi de travailleurs étrangers sans papiers ou dont les droits sont minimisés offre ainsi un levier comparable à une délocalisation, mais qui s’opère directement sur le territoire.
L’ouvrage de Daniel Veron insiste sur l’importance de distinguer deux modalités fondamentales de l’emploi de cette force productive : le travail détaché et le travail illégal. Historiquement, le recours aux travailleurs sans papiers ou « illégalisés » est la pratique la plus ancienne. Les années 1970 marquent un tournant décisif : après la période faste des « Trente Glorieuses », caractérisée par une immigration de travail significative, les voies légales d’entrée se sont progressivement fermées. Daniel Veron démontre que cette situation a donné naissance à un mode de gestion singulier de la migration de travail, où les individus continuent d’arriver sur le territoire et d’accéder à l’emploi, mais sont délibérément maintenus dans une situation d’irrégularité administrative.