
Le soutien affiché par le président des États-Unis aux monnaies privées, en particulier aux jetons numériques stables adossés au dollar, représente un défi majeur pour l’ordre international actuel, et plus spécifiquement pour l’Europe. Agnès Bénassy-Quéré, seconde sous-gouverneure de la Banque de France, a récemment souligné cet « enjeu de souveraineté » dans une tribune. Elle y met en lumière la dépendance de la France et de l’Europe vis-à-vis d’outils de paiement majoritairement américains. Cette dépendance se manifeste aujourd’hui par la prédominance des réseaux de cartes de débit/crédit, et demain, par l’essor des monnaies numériques, notamment celles des GAFAM.
La fonction de paiement de la monnaie est souvent sous-estimée, car elle semble évidente. Cependant, les évolutions des moyens de paiement ont toujours illustré une tension intrinsèque à la monnaie : celle entre l’initiative privée et l’action publique, ainsi qu’entre les niveaux national et international. Historiquement, les autorités publiques ont réussi à imposer des unités de compte dans les contrats, comme en France dès le XIVe siècle. En revanche, le contrôle des moyens de paiement a été largement laissé à l’initiative privée, comme en témoignent les lettres de change et les dépôts bancaires, initialement réservés au monde marchand.
Aujourd’hui, près de 99 % des stablecoins sont adossés au dollar américain, et la plupart des émetteurs sont des entreprises américaines, ce qui rend ces actifs doublement non souverains pour l’Europe. La Banque Centrale Européenne (BCE) insiste sur l’urgence de légiférer pour l’euro numérique, le considérant comme un moyen de contrer l’influence croissante des stablecoins basés sur le dollar. Cet euro numérique est perçu comme la pierre angulaire d’un partenariat public-privé visant à préserver la souveraineté de la BCE et à limiter le potentiel des stablecoins en devises étrangères à devenir un moyen d’échange courant au sein de la zone euro.
Face à cette situation, l’Europe réévalue ses plans pour un euro numérique afin d’éviter que le dollar ne prenne une avance irréversible dans les paiements numériques. La domination du dollar dans la finance numérique soulève la question de l’affaiblissement de la position de l’Europe dans ce domaine. L’introduction de la régulation MiCA (Markets in Crypto-Assets) par l’Europe démontre une volonté de créer un environnement financier numérique sûr et transparent, mais la disparité des réglementations mondiales autour des stablecoins crée de l’incertitude.