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Leroy Merlin a retiré ses publicités du média Frontières suite à la demande de Sleeping Giants, déclenchant une vive polémique et des milliers de messages de désapprobation.

En novembre, la branche française du collectif Sleeping Giants a exhorté Leroy Merlin à cesser ses publicités avec le média Frontières, jugé d’extrême droite et politiquement dangereux. En accédant à cette requête, l’enseigne de bricolage a déclenché une vague d’indignation inattendue. Sur les réseaux sociaux, des milliers de messages ont fustigé cette décision, perçue comme un choix idéologique méprisant une partie de sa clientèle et de ses collaborateurs. La démarche, initialement présentée comme « citoyenne », a été vivement critiquée comme un geste partisan, accentuant les clivages politiques existants.

Cet événement marque sans équivoque une nouvelle phase dans la « sociétalisation » des entreprises. Jusqu’à la fin des années 2010, le mécanisme était relativement simple : un collectif d’activistes s’exprimait « au nom de la société » et menaçait la réputation d’une entreprise si elle persistait dans des pratiques jugées immorales. Les campagnes ciblaient alors divers sujets : investissements dans des zones de conflit, conditions de travail abusives, produits polluants, ou encore politiques sociales discriminatoires. Elles pouvaient aussi porter sur des choix de gouvernance ou des stratégies économiques.

À cette époque, deux catégories d’activistes dominaient la scène : les « sociétaux », incluant les ONG et les collectifs militants, et les « actionnariaux », des fonds de placements utilisant leurs parts de capital, même minimes, pour influencer les décisions. Une convergence implicite des luttes se créait entre eux : en menaçant l’image d’une entreprise, les premiers faisaient avancer leur cause politique tandis que les seconds anticipaient des gains stratégiques ou financiers. La perspective de polémiques publiques devenait un levier d’influence commun, que les entreprises intégraient pleinement dans leurs processus décisionnels.

Cependant, ce fragile équilibre s’est complexifié ces dernières années. Aux États-Unis, la réaction néoconservatrice, emmenée par des figures comme Donald Trump, a contesté l’hégémonie morale des activistes progressistes. Selon cette vision, leur influence ne découle pas tant du nombre de militants que de leur prétention à monopoliser la voix de l’« opinion publique ». D’où une stratégie visant à encourager des prises de parole contradictoires, parfois amplifiées à l’excès, pour briser l’illusion d’un consensus moral et rendre la représentation de l’opinion plus disputée et fragmentée.