Les sociologues Stéphane Le Lay et Fabien Lemozy, auteurs de l’ouvrage « Contrôler et prescrire » (Éditions du Croquant), ont mené des enquêtes approfondies en 2021 et 2022 auprès des conseillers et des demandeurs d’emploi de Pôle emploi, aujourd’hui France Travail. Leurs recherches révèlent une victoire totale de la conception gestionnaire de l’accompagnement et du contrôle au sein de l’institution. Cette approche, axée sur les chiffres, a profondément transformé le quotidien professionnel des salariés et la relation avec les demandeurs d’emploi.
Depuis plusieurs décennies, l’institution est marquée par la prévalence du chiffre, accentuée par le déploiement du new public management. Il est impératif de dénombrer les demandeurs d’emploi, de distinguer ceux éligibles à une indemnisation et, sous la pression des responsables politiques, de présenter des statistiques les plus favorables possible, souvent en créant de nouvelles catégories de chômeurs. La transformation numérique des agences a amplifié cette tendance, conduisant à une déshumanisation partielle du travail et à une industrialisation de la relation avec les usagers.
Le contrôle des demandeurs d’emploi est devenu un axe majeur, avec la définition d’objectifs chiffrés pour les conseillers. Par exemple, ils sont incités à réduire le nombre de demandeurs d’emploi seniors en vérifiant l’intensité de leur recherche active. Cette logique gestionnaire se traduit également par une « politique occupationnelle », où les conseillers sont encouragés à orienter les demandeurs d’emploi vers des formations ou des stages, dont l’utilité réelle n’est pas toujours avérée. Ces évolutions soulèvent des questions importantes sur la qualité de l’accompagnement et le bien-être des salariés de France Travail.
