
Rarement une institution aura été autant célébrée et autant critiquée. Créée dans l’élan de la Libération, la Sécurité sociale fête ses 80 ans dans un climat paradoxal : son objectif fondateur – garantir « à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes » – reste d’une évidente actualité. Pilier du modèle social redistributif français, elle est pourtant régulièrement accusée de « coûter trop cher », voire de plomber l’économie française.
Récurrentes, ces critiques oublient qu’elle est autant un élément fondamental de la solidarité intergénérationnelle qu’un investissement pour l’avenir : en préservant la santé, en réduisant la pauvreté et en amortissant les risques individuels comme les crises collectives – pensons à la pandémie de Covid-19 –, elle évite des coûts économiques et sociaux incomparablement plus lourds.
Comment la « sécu » peut-elle faire face au vieillissement de la population, à l’augmentation des coûts de santé, à la montée des emplois précaires, autant de défis qui fragilisent son financement ? Pour répondre à cette question, l’histoire ne peut pas prédire l’avenir mais elle peut aider à le penser. L’un de ses nombreux enseignements est que l’efficacité de la sécurité sociale réside précisément dans son caractère universel et solidaire.
En plongeant au cœur des archives publiques, et grâce à une ample collecte de témoignages oraux menée par le comité d’histoire de la Sécurité sociale, historiennes et historiens continuent d’éclairer aujourd’hui le système de protection sociale « à la française », à la suite du pionnier Henri Hatzfeld (1919-2019).
L’analyse des étapes de sa construction légale depuis un siècle et demi, la mise au jour des « petites mains » de la protection sociale souvent oubliées, ou encore la comparaison du modèle français avec d’autres expériences en Europe et dans le monde nous apprennent beaucoup : la dernière livraison de la Revue d’histoire de la protection sociale (n° 18, 2025) commémore ce « moment 1945 » en faisant dialoguer les trajectoires nationales depuis quatre-vingts ans, du Japon à la Belgique, de l’Allemagne au Royaume-Uni, de l’Italie aux Etats-Unis.