
Dans leur ouvrage « Le Dialogue social sous contrôle » (PUF), Baptiste Giraud, maître de conférences en science politique à Aix-Marseille Université, et Jérôme Pélisse, professeur des universités en sociologie à Sciences Po, analysent l’évolution de la négociation en entreprise, désormais considérée comme le « premier socle du droit du travail ».
Les auteurs soulignent que l’État français a entrepris, au cours des dernières décennies, une série de réformes visant à réorganiser les relations professionnelles. Le fil conducteur de ces réformes est la décentralisation de la négociation collective, accordant une place prépondérante à l’échelon des entreprises. Ce mouvement s’est notamment manifesté avec les lois Auroux de 1982, qui ont instauré le principe d’une négociation annuelle obligatoire au sein des organisations. Ces lois ont également défini le cadre de la mise en place des 35 heures et ont étendu le champ de la négociation d’entreprise à de nouvelles thématiques comme l’égalité professionnelle ou la lutte contre la pénibilité au travail dans les années 2000 et 2010.
L’impact de cette décentralisation sur le dialogue social est significatif. Baptiste Giraud explique qu’à partir de la fin des années 1990, cette décentralisation a été principalement orientée vers le renforcement de la stratégie de compétitivité des entreprises. Cela s’est traduit par un accroissement de la flexibilité du temps de travail et une baisse de la rémunération des heures supplémentaires, marquant ainsi une « mise sous contrôle étatique et patronale » qui subvertit la logique initiale de la négociation collective.
Jérôme Pélisse ajoute qu’une autre évolution notable est la remise en cause du « principe de faveur ». Ce principe stipulait qu’un accord de niveau inférieur (tel qu’un accord d’entreprise) ne pouvait être que plus favorable aux salariés qu’un texte de niveau supérieur (comme un accord de branche). Cependant, les réformes successives, notamment les ordonnances « Travail » de 2017, ont modifié cette hiérarchie des normes, accordant désormais la primauté à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche dans une majorité de domaines.