
Quatre-vingts ans après sa création, la Sécurité sociale fait face à un climat peu propice à la célébration. Des voix s’élèvent en Europe pour réduire l’État social au profit d’un État de guerre, posant l’arbitrage entre dépenses sociales et militaires comme un jeu à somme nulle. En France, le débat se focalise sur les économies, présentant les crises de financement comme la conséquence d’un système jugé vicié dès son origine.
Un retour sur la genèse intellectuelle de la « Sécu » permet de mieux appréhender les choix qui l’ont façonnée. Le concept de Sécurité sociale, issu des Lumières, est choisi dès 1944 pour définir les objectifs du Conseil national de la Résistance (CNR). Il connaît alors un succès mondial, propulsé par les réponses politiques à la crise des années 1930 et la mobilisation contre le nazisme. Il répondait au besoin de garantir une prévisibilité de l’existence à ceux dépendant de leur travail.
Popularisée par les réformes de Franklin D. Roosevelt aux États-Unis, notamment le New Deal, la Sécurité sociale incarne la promesse d’un monde libéré du besoin et de la peur, gage d’une paix durable. C’est sur ce projet d’avenir que les Nations unies s’appuient pendant la guerre pour mobiliser leurs citoyens, en dessinant l’horizon d’une société plus équitable.
En 1945, Pierre Laroque, l’architecte de la Sécurité sociale française, s’inspire de ces références. Contrairement aux aides uniformes et au minimum vital préconisés par le rapport britannique Beveridge (1942), Laroque privilégie la « vérité sociale » du modèle américain du New Deal. Ce modèle prévoit des prestations proportionnelles aux revenus, dans la limite d’un plafond. Cela conduit à la généralisation des assurances sociales, offrant un revenu de remplacement en cas de maladie, chômage ou vieillesse. Bien que confié aux partenaires sociaux, le système vise à couvrir l’ensemble de la population, comme l’a défendu Ambroise Croizat, ministre communiste du Travail et de la Sécurité sociale, car nul ne peut « être certain de se trouver dans une sécurité durable ».